Bien sûr quand on parle de logiciel libre, on parle de licence. En tant qu’utilisateur final, vous n’en avez que faire. Souvent, seule vous importe la gratuité qui vous a été accordée pour son usage. Mais c’est plutôt en tant que développeur, que cette licence prend de l’importance. Suivant celle adoptée par le projet, le travail de codage publié aura des répercussions plus ou moins restrictives. Ici, on ne parle pas de programmeur indépendant, jeune étudiant en codage ou dilettante passionné mais d’abord d’entreprises informatiques qui emploient des développeurs et qui commercialisent des solutions autour du logiciel libre.
OpenOffice depuis sa reprise par la Fondation Apache, est publié sous sa licence éponyme AL v2. Celle-ci est classée dans les licences permissives. Contrairement à LibreOffice qui est sous double licences (MPL v2 et GPL v3) et qui sont elles, classées dans la catégorie « copyleft » et jugées comme restrictives. Ce qu’il faut déjà savoir c’est que ces deux catégories sont incompatibles même si elles se rapportent à des logiciels libres.
Ce paradoxe va permettre ainsi à LibreOffice de profiter de tout code publié par OpenOffice mais à l’inverse, le code publié par LibreOffice ne pourra être repris par OpenOffice.
Car la licence Apache d’OpenOffice impose peu d’obligations. Si une entreprise veut récupérer le logiciel pour le faire évoluer, il devra respecter la paternité de la licence mais pas la redistribution. En clair, s’il y a eu modification du code, elle n’est pas soumise à publication. A l’inverse, la même chose ne sera pas possible avec LibreOffice qui imposera que tout composant développé devra être publié sous la même licence et avec son code source. D’où la présence d’une restriction forte quand il faut contribuer.
Cette approche restrictive peut sembler plus logique dans sa philosophie mais elle a un inconvénient majeur. Elle freine toute usage par des entreprises qui chercheraient à intégrer un logiciel libre sous copyleft. Ainsi en France, le non-respect de la licence expose le contrevenant à une action en contrefaçon, sanctionnée par l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle (les sanctions pouvant atteindre 150.000 € d’amende et 2 ans d’emprisonnement). Il faut faire face à une alternative : répercuter l’engagement avec ses clients ou choisir d’interdire à ses développeurs l’utilisation de logiciels à code ouvert pour les intégrer dans des développements propriétaires. La plupart du temps, le choix est vite fait. Ces projets se privent d’emblée, d’entreprises qui pourraient devenir de futurs contributeurs.
Beaucoup avancent que le copyleft protège le développeur. En fait, il protège d’abord l’entreprise qui emploie le(s) développeur(s). Collabora et CIB, les principales entreprises contributrices du projet LibreOffice, gardent ainsi la main-mise sur leur investissement. Il s’agit de conserver une certaine brevetabilité du code. Ce qui joue un rôle certain dans la valorisation des actifs immatériels de ces sociétés. Un passage en licence permissive aurait donc un impact financier certain. Par exemple, la Fondation Apache estime ses projets pour une valeur supérieure à 20 milliards de dollars.
Qu’on ne s’y trompe pas, la tendance depuis plusieurs années est à la baisse des projets en licence copyleft. En 2019, on n’en comptait plus que 33 %(1) contre 57 % en 2011. Les licences MIT et Apache sont désormais majoritaires.
(1) Source : https://resources.whitesourcesoftware.com/blog-whitesource/open-source-licenses-trends-and-predictions