LibreOffice sur tous les fronts

Rappelons d’abord que LibreOffice est un dérivé d’OpenOffice. C’est un projet autonome créé en 2010 et qui est supervisé par une association à but non lucratif de droit allemand dénommé « The Document Foundation » (abrégé en TDF). Souvent mise en avant comme argument marketing, cette suite bureautique qu’est LibreOffice serait largement utilisée dans l’Administration française et notamment la Gendarmerie. Ce qui est souvent oublié, c’est que ce n’est pas la version du projet original mais un dérivé adapté à ses besoins. Dénommée MIMO, elle n’est pas (ou plus) LibreOffice dans ses récentes évolutions bien qu’elle en porte toujours le nom. S’ajoutent également des versions payantes de LibreOffice qui sont mises à disposition sur l’Apple Store. Ces dernières sont maintenues et vendues par Collabora.

Comme je l’ai mentionné dans un précédent billet, Collabora Productivity est l’entreprise dominante du projet LibreOffice. C’est elle qui fournit l’essentiel des ressources humaines en matière de développement et donc de développeurs. Ultime résurgence du défunt Novell, cette société a su capitaliser ses précédents investissements du projet Go-OO (une première scission d’OpenOffice apparue en 2007). En 2013, Michael Meeks en devient le vice-président. Sa situation de responsable du comité de projet dans TDF depuis son origine lui a donc permis d’insuffler les principaux changements et orientations dans le logiciel. Trop sans doute…

Après 10 années d’existence, la Fondation du Document traverse sa première crise. Des scissions sont apparues dernièrement au sein du conseil d’administration. Certains membres ayant décidé unilatéralement de modifier le nom des versions. Il s’agissait de fournir une version professionnelle et une version personnelle. La première aurait été à destination des entreprises (et donc qui paieraient pour l’avoir). La seconde restant gratuite et aurait le grand public comme principal utilisateur. Beaucoup de monde y a vu l’apparition déguisée d’un modèle payant et d’un logiciel à deux vitesses.

A cela, s’est ajoutée la création d’une seconde structure dénommée TDC. Acronyme de « The Document Collective », elle devait agir dans le développement. Le problème, c’est que TDC aurait été basée aussi au Royaume-Uni comme Collabora. Pilotée comme une entreprise, elle aurait été financée par des fonds en provenance de TDF. Un bel imbroglio très mal vu notamment par tous ceux ayant versé des dons. Il s’agissait de contourner le cadre juridique de TDF dont les statuts empêchent de mener des actions de développement.

Là encore, on pourrait y voir la main-mise de Collabora Productivity. La société anglaise s’est quelque peu embourbée dans son projet Collabora Online. Une version destinée à concurrencer les mastodontes que sont G**gle ou Microsoft en offrant une alternative bureautique disponible à travers un navigateur. Ce fameux LibreOffice « en ligne » (qui n’en porte donc pas le nom) a jusque là été uniquement proposé en code source. Collabora n’y a instauré qu’une collaboration autour du développement sans proposer de version utilisable. Car il faut bien sûr pousser les potentiels clients à acheter une assistance autant d’installation qu’en terme de support. Le fait que TDF souhaite reprendre la main sur l’application et surtout sur le nom, serait d’arrêter d’entretenir la confusion dans l’esprit des utilisateurs quant à la multiplicité des appellations. Mais laisser tout ça signifie un lourd sacrifice financier que Collabora a du mal à accepter.

Michael Meeks qui se plaignait autrefois de l’omnipotence de Sun ou d’Oracle sur OpenOffice, se voit à son tour la cible de toutes les critiques. En réponse à cette situation, Collabora vient de pousser LibreOffice, pardon, Collabora Online sur la plateforme GitHub. Cela lui permet de continuer à dire que le projet est libre et de garder la main sur sa gestion sans avoir à en référer à TDF. Meeks espère ainsi rentabiliser Collabora tout en ménageant les tensions au sein de TDF dans lequel il souhaite continuer à œuvrer. Bien sûr, rien n’empêche les autres membres de TDF de récupérer le code de Collabora et de le rendre disponible dans un LibreOffice gratuit. Mais cela est-il possible réellement ? Car même si TDF en avait les ressources techniques (et humaines), il prendrait le risque de perdre son contributeur principal.

Début octobre, Lothar Becker, l’actuel président de TDF a demandé aux autres membres de « trouver des compromis et des solutions gagnant-gagnant « . Il note qu’il sera nécessaire de revoir un plan marketing adapté. Et ce qui va se passer ensuite ? Difficile à prévoir. Faut-il ramener Collabora pleinement dans le giron de la fondation et risquer d’augmenter les tensions avec d’autres membres de la communauté ? Attendre que d’autres entreprises commerciales viennent compléter les contributeurs ? Donc oui, c’est à cela que ce plan marketing doit servir, favoriser et valoriser les entreprises de cet écosystème fragile tout en assurant un développement soutenu de LibreOffice sans restriction d’usage.

8 commentaires sur “LibreOffice sur tous les fronts”

  1. David dit :

    Excellent article

  2. Pierre dit :

    Il faudrait que TDF prenne une part du développement de LO pour contrebalancer le poids de COLABORA, mais ses status l’en empêche.

    Je suis persuadé que la dégradation lente et continuelle de la suite (plus de 1300 régressions identifiées) est voulue par Colabora. Cela permet de justifier le support.

    Pour les utilisateurs, lambda, il n’y a que le choix entre OpenOffice, qui ne bouge pas, mauvais affichage des formules (W10) et incompatible avec les écrans 4K et LO qui a de nouvelles possibilités très séduisantes, mais des bugs un peu partout.

    Les deux suites sont en train de disparaitre…

  3. sergeiwes dit :

    >Michael Meeks qui se plaignait autrefois de l’omnipotence de
    >Sun ou d’Oracle sur OpenOffice, se voit à son tour la cible de
    >toutes les critiques.

    Voilà un gars qui a su mener sa barque. Mais elle va au naufrage. :(

    Merci pour cet éclairage bien caché aux utilisateurs que nous sommes.
    Une nouvelle raison de préférer OpenOffice et son « Apache way » à ce micmac financier bien loin de la pensée libre.

  4. Pierre dit :

    « Merci pour cet éclairage bien caché aux utilisateurs que nous sommes.
    Une nouvelle raison de préférer OpenOffice et son « Apache way » à ce micmac financier bien loin de la pensée libre. »

    Sauf que cet Apache way, est un autre naufrage, rien ne se passe de cette façon.

    Je trouve que cette situation montre bien qu’il faut des entreprises pour faire vivre Oracle, Sun Colabora, IBM… Sans ces entreprises, LO/AOO ce serait quoi ?

    Donc, c’est un plus, et c’est un problème, qu’il faut gérer, mais ne pas le rejeter.

  5. Nathan dit :

    @sergeiwes :
    >Merci pour cet éclairage bien caché aux utilisateurs que nous sommes.
    +1

    LibO est très fort en marketing ciblé
    On voit qu’il sait aussi mettre la poussière sous le tapis :)

  6. Michael Meeks dit :

    Bonjour Cyril,

    Il est vrai que Collabora est un acteur de poids au sein du projet LibreOffice, toutefois le nombre d’acteurs dominants est limité par les status: il ne peut donc y avoir plus de 30 % des participants ayant la même affiliation au conseil d’administration de The Document Foundation. Il n’y a donc aucune main mise.

    Collabora apparaissant comme dominant est dû au fait que nous apportons beaucoup au niveau du développement en ayant une relation forte entre les partenaires et nos clients, une relation qui nous permet de créer et d’améliorer la version en ligne et fournir des applications mobiles pour iOS et Android (et ChromeOS). Collabora Online est un projet qui continue à grandir rapidement surtout depuis notre déménagement sur GitHub : plus il y a de contributions, mieux c’est :)

    Michael Meeks

  7. LibreOfficeFR dit :

    Bonsoir Cyril et à toutes et tous,

    Concernant The Document Collective, il n’y a pas d’imbroglio. Comme indiqué dans la proposition, page 1, le but de TDC est d’être autofinancé via les ventes de LibreOffice dans les app stores et un système de bug bounty. Uniquement l’argent nécessaire à sa constitution est fournie **en tant que prêt** qui sera remboursé à TDF. The Document Collective n’est donc pas financé par The Document Foundation. Tout ceci est au stade de discussion, rien n’ayant été encore créé. Notons que, Collabora n’est en rien lié à TDC.
    https://nextcloud.documentfoundation.org/s/6FLTHyR8kYTAjrY

    On ne met pas de poussière sous le tapis. Les seules discussions animées qu’il y a eu récemment, c’est sur le nouveau marketing plan de TDF, plu particulièrement sur le slogan/label de la version de LibreOffice fournie par TDF : certains voulaient un label « Personal » d’autres voulaient un label « Community ». Le déménagement de Collabora même s’il reste regrettable aux yeux de certains, n’a pas fait beaucoup de bruit au sein de la communauté LibreOffice.
    https://listarchives.libreoffice.org/global/marketing/2020/msg00246.html

    « Faut-il ramener Collabora pleinement dans le giron de la fondation et risquer d’augmenter les tensions avec d’autres membres de la communauté ? » Ils n’ont pas quitté le navire, comme expliqué dans leur FAQ que je vous invite à lire (https://forum.collaboraonline.com/t/faq-questions-et-reponses-frequemment-posees/68), Collabora est plus que jamais investie dans LibreOffice :)

    La principale raison du déménagement de Collabora Online (cf. https://listarchives.libreoffice.org/fr/discuss/2020/msg00246.html) est l’image de marque et la visibilité, 2 facteurs jugés importants par Collabora. Comme indiqué par Collabora, c’est aussi l’occasion de s’assurer que les rivalités commerciales restent à l’extérieur du projet de façon pour nous, contributeurs, de se concentrer sur ce qui importe : le développement de fonctionnalités et la communauté de développeurs. Vous y êtes d’ailleurs bienvenus :)

    Belle soirée,

    ^WG

  8. TOOop Chef dit :

    @M. Meeks
    Des statuts qui arrangent donc les affaires de Collabora finalement. Mais quid des demandes de rapprochement d’ASF ?

    @LibreOfficeFR:
    Il aurait été utile de vous présenter. Votre pseudo laisse supposer que vous êtes un membre officiel du projet.

    Collabora reste votre seul sponsor et comme l’indique M. Meeks (qui me fait l’honneur de s’exprimer en français) omniprésent sur votre chaîne décisionnelle. C’est bien là tout le problème. Le nom même de cette version en ligne en est un bel exemple : LOOL n’ayant jamais existé.