Un billet sur le gratuiciel

Traduction libre de « a note about freeware » de Paul Lutus

Introduction

Internet était à l’origine un forum pour les professionnels de l’informatique et les universitaires qui comprenaient la nature de ce média et beaucoup participaient à sa construction et acceptaient largement leurs responsabilités. Ces personnes intelligentes et créatives ont compris que les autres personnes sur Internet étaient leurs pairs, des gens comme eux qui comprenaient cette coopération créative.

L’ancien Internet avait un seul niveau, celui d’êtres humains qui postaient ce qui les intéressaient. Les internautes contemporains peuvent trouver cela difficile à croire, mais la plupart du contenu était gratuit et tout le monde avait quelque chose à offrir (il n’y avait pas de consommateurs purs).

L’internet d’aujourd’hui ne ressemble guère à l’ancien. L’Internet moderne est devenu un terrain de jeux pour entreprises, une zone de libre-échange commerciale et sur le point de devenir une interminable publicité, un idéal dont ne rêvent que des producteurs de télévision. Le nombre d’utilisateurs a également explosé et l’ancien Internet de coopération et d’égalité a été quasiment enfoui sous les décombres.

Le nouvel Internet, contrairement à l’ancien, est hiérarchique – il y a des fournisseurs et il y a des consommateurs. Les premiers sont perpétuellement devant votre visage et les seconds, déduisez le monde entier, se comportent comme des enfants narcissiques – peu importe la quantité, ce n’est pas suffisant, donnez-moi plus.

Le nouvel Internet est conçu pour ressembler autant que possible à la télévision – vous regardez, puis vous consommez, les deux passivement. Cela signifie que les personnes uniquement exposées à l’image de la réalité à la télévision n’ont pas à ajuster leurs perception ou leur comportement lorsqu’elles se connectent.

Depuis le piratage des entreprises sur Internet, et après l’explosion du nombre d’utilisateurs, il semble que l’on puisse encore trouver des morceaux de l’ancien Internet, dispersés ici et là parmi les arnaqueurs et les escrocs. Ce site, www.arachnoid.com, fait partie de l’ancien Internet – tout ici est gratuit, y compris des programmes très connus. C’est un site purement non commercial – il n’y a pas de publicité et rien n’est à vendre. Et parce que les sites Internet gratuits sont maintenant si rares, le statut et l’objet de ce site créent une certaine confusion chez les visiteurs.

À l’époque de l’ancien Internet, je n’aurais pas eu à expliquer ce que je suis sur le point de faire, car tout le monde l’aurait compris. Mais dans des communications récentes, j’ai commencé à voir une distorsion dramatique de la perception chez certains utilisateurs de mes programmes, et je dois donc expliquer plus clairement ce qu’est un logiciel libre et ce qu’il n’est pas.

Logiciel libre, droits et responsabilités

Un logiciel libre ne se paye pas, jamais et en aucune manière.

  • Ce n’est pas un « partagiciel » que vous devrez éventuellement payer.
  • Ce n’est pas un « harceliciel » qui essaye de vous faire payer pour quelque chose qui à l’origine était gratuit.
  • Ce n’est pas une « version d’évaluation » qui va perpétuellement essayer de vous ennuyer en vous faisant miroiter des fonctionnalités disponibles dans la version commerciale.
  • Ce n’est pas un « publiciel », une forme de plus en plus populaire, qui est en fait un véhicule publicitaire et qui ressemble beaucoup à cet Internet moderne.
  • Ce n’est pas un « logiciel espion », sorte de programme qui ouvre un canal de communication entre votre ordinateur et quelqu’un qui veut savoir ce que vous faites.

Pour le dire simplement, le logiciel libre doit répondre à certains de vos besoins ou il ne peut pas perdurer. En revanche, les logiciels commerciaux peuvent échouer dans ce standard de base et continuer à exister, voire à prospérer, pendant des décennies. Exemple : Windows qui fait précisément ce qu’il veut sur votre ordinateur, généralement à vos frais.

Digression : vous vous souvenez du film « Chinatown » ? À un moment critique de l’histoire, quand rien n’avait de sens et que le personnage de Jack Nicholson veut lui arracher les cheveux, un ami sympathique se penche vers lui et dit, à demi-voix : « Jake, c’est Chinatown ». Cela était censé envoyer le message que tout était existentiel, que cela n’était pas censé avoir un sens, que la résistance était vaine et qu’il devait simplement l’accepter. Eh bien, exactement de la même manière : « c’est Windows ». Windows n’est pas censé avoir un sens, il est censé faire de l’argent.

Compte tenu de la liste des exclusions ci-dessus, presque aucun logiciel moderne n’est vraiment gratuit. Les vrais logiciels libres ne doivent jamais être auto-paralysants, expirer, harceler, cajoler, faire de la publicité ou confronter l’utilisateur avec un contenu sans rapport à la fonction du programme.

Pour faire court, mes programmes sont gratuits. En fait, ils sont « Cajoliciel ». Mais ce principe de base de cajoler (les gens devraient cesser de se plaindre) est tellement idéaliste et désuet maintenant que je devrai éventuellement supprimer toutes les références à ce concept de mes programmes. Dire aux internautes modernes d’arrêter de pleurnicher, c’est leur dire d’arrêter de respirer – cela semble irréaliste et inhumain.

Lorsque vous téléchargez un programme gratuit, vous disposez de certains droits, de certaines responsabilités et d’un seul recours:

Droits

  • Que vous ne devrez pas payer pour le programme, de quelque façon que ce soit, jamais.
  • Que le programme se révèle être ce que sa description dit.
  • Que le programme réponde à au moins certains de vos besoins.
  • Que votre vie privée ne soit pas envahie.

Responsabilités

  • Vous devez lire la documentation et la FAQ avant de poser une question.
  • Vous ne pouvez pas demander de nouvelles réponses aux questions déjà abordées dans la FAQ ou dans la documentation.
  • Vous ne pouvez pas réclamer un service client ou des instructions individuelles.
  • Vous n’avez pas le droit d’exiger des modifications du programme en fonction de vos goûts personnels.
  • Si vous ressentez une impulsion à dire « vous n’avez que ce que vous payez », assurez-vous que votre partenaire sexuel ne vous entende pas, car, à moins qu’il n’ait été le cerveau endommagé, il cessera de dormir avec vous.

Remèdes

Il n’y en a qu’un – vous pouvez arrêter d’utiliser le logiciel. Vous ne pouvez pas vous en plaindre comme si vous l’aviez payé, car vous ne l’avez pas fait.

Ce que je dis essentiellement, c’est que les utilisateurs ne doivent pas traiter les logiciels gratuits comme des logiciels commerciaux. D’une part, la plupart des logiciels gratuits sont meilleurs que les logiciels commerciaux. Pourquoi ? Parce que la plupart des gens qui les écrivent aiment les ordinateurs et la programmation, et la plupart des programmes gratuits ont été écrits par des gens qui, quoi qu’ils fassent, ne regardent pas une horloge tout en se sentant exploités par une entreprise.

Digression : pourquoi le logiciel de Microsoft est-il si terrible ? Simple. Il a été écrit en grande partie par des personnes qui ne voulaient pas faire ce qu’elles faisaient, qui étaient les développeurs les moins chers que le service du personnel pouvait trouver pour occuper des postes vides, qui étaient exploités et qui le savaient. Les développeurs qui sont réellement compétents en programmation démarrent eux-mêmes leur entreprise ou prennent leur retraite (et écrivent peut-être des logiciels gratuits) – mais ils ne restent pas des laquais d’entreprise, luttant pour réparer la dernière version de Windows.

Il y a une vieille blague qui concerne ce sujet. Après le vol orbital historique de John Glenn, les journalistes lui ont demandé à quoi il pensait en attendant le décollage. Il a répondu : « je pensais que la fusée avait 20.000 composants, chacun étant fabriqué par l’entreprise la moins-disante ». Les logiciels commerciaux sont, par définition, développés au moindre coût. En revanche, les gratuits (certains en tout cas) sont faits par des gens qui aiment réellement ce qu’ils font, et certains d’entre eux sont des personnes que les grandes éditeurs de logiciels ne peuvent pas se permettre d’embaucher.

Les utilisateurs de gratuiciel ne doivent pas oublier qu’ils n’ont pas payé pour le logiciel et donc ils ne peuvent pas exiger la satisfaction d’un contrat imaginaire entre le développeur et eux-mêmes. La relation contradictoire habituelle entre le vendeur et le consommateur n’existe tout simplement pas. Je trouve que les utilisateurs d’un certain âge ne comprennent jamais ce fait, et ce sont invariablement les plus jeunes qui pensent avoir le droit de demander absolument n’importe quoi et qui s’attendent à la satisfaction de tout caprice arbitraire.

En regardant Internet comme je le fais, je trouve que le fossé entre les êtres humains et les consommateurs s’élargit. Plutôt que d’insister sur un point qui a été suffisamment discuté ailleurs, y compris via des articles sur ce site (par exemple : « Consumer Angst »), je dirai simplement que les utilisateurs ne doivent pas traiter les gratuiciels comme des logiciels commerciaux qui eux, peuvent être tenus responsables des attentes des utilisateurs. Jeunes gens, ce n’est pas comme ça que le logiciel libre fonctionne.

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