LibreOffice, fais moi peur

« Shérif, fais moi peur », vous vous rappelez de cette série télé des années 80 ? La famille Duke s’affronte au shérif Rosco et au maire, Jefferson D. Hogg, dit Boss. A chaque épisode, il y a le plus souvent des courses poursuites et de petites bagarres bon enfant, les deux clans, se connaissant depuis toujours et étant toujours prêts à s’entraider lorsqu’ils sont confrontés à de vrais méchants.

Depuis quelques jours, on assiste un peu à la même chose : le clan LibreOffice cherchant des poux à celui de Apache OpenOffice. A l’approche de la sortie de la version 3.4, des piques sont lancées à travers de petits billets dans les blogues.

Tout commence avec Charles Schulz qui dégaine le 14 avec une réflexion sur l’identité OpenOffice. Il conteste que « les membres d’Apache continuent la poursuite légitime du projet OpenOffice.org désormais défunte ». Il les rend d’ailleurs responsable « de montrer une franche hostilité à l’égard de LibreOffice ». En clair, si Apache a bien la marque, cela n’en fait pas l’héritier de l’esprit OpenOffice. Apache serait en fait une couverture où agirait en sous-main, IBM qui n’aspirerait qu’à une chose, galvauder le logiciel en le fusionnant avec Lotus Symphony. Schulz agite aussi le chiffon rouge de la maintenance et du support des versions existantes. Il dit ainsi qu’Apache avec cette 3.4 tournerait la page sans corriger les bogues des anciennes 3.2.1 ou même 3.1 qu’utilisent les entreprises. En clair, seul LibreOffice continue ce travail de correction et se révèle ainsi le seul garant de cette identité libre.

Le lendemain, c’est Italo Vignoli qui complète. Il publie de son côté un graphique montrant le nombre de développeurs dans les deux projets. 360 chez LibreOffice contre 21 chez les Apache.

Là encore, il s’agit de démontrer que seul LibreOffice peut assurer une pérennité de la suite bureautique avec des moyens humains conséquents.

Mais quelle valeur peut-on accorder à ces propos ?

D’abord sur la continuité des versions, il y a contradiction. Schulz nous assure que LibreOffice va poursuivre l’esprit OpenOffice alors que depuis le début du projet, Michael Meeks nous assure du contraire avec un code qui en sera de plus en plus éloigné. Schulz nous met en garde contre une éventuelle main-mise d’IBM. Pourtant, le problème n’est-il pas identique avec LibreOffice et Novell ? Existe t-il un danger réel pour un projet libre à avoir un contributeur fort ? Les 10 ans de Sun passées au côté d’OpenOffice prouvent le contraire.

Ensuite sur le nombre de développeurs, cela est-il réellement le reflet de la vigueur d’un projet ? Vignoli nous avance le nombre de 300 depuis 2011. Mais la sortie de la 3.5 n’a apporté que très peu de nouveautés. Du temps où OpenOffice était sous la houlette de Sun, le nombre de développeurs travaillant à plein temps sur le code était entre 20 et 25 personnes. Un nombre finalement assez proche de celui actuellement dans le projet Apache.

Alors pourquoi ces petites bagarres ? LibreOffce a t-il peur d’être mangé médiatiquement une fois que la 3.4 sera lancée ? Car je l’ai montré à plusieurs reprises, OpenOffice reste largement en tête dans les moteurs de recherche.

Bref comme dans la série, espérons que les deux clans se souviennent qu’ils ont en face d’eux, un vrai méchant qui monopolise 90 % du marché de la bureautique.

7 commentaires sur “LibreOffice, fais moi peur”

  1. Pierre dit :

    Bonjour, on peut lire sur le site de Apache :

    « La fondation affirme ne pas s’engager dans une course pour voir à quelle vitesse une nouvelle version de OpenOffice est capable de sortir, ou avec quelle rapidité des versions mineures sont disponibles. La fondation a pour objectif d’assurer la continuité de la suite pour ses millions d’utilisateurs. »

    Cette attitude (prendre le temps de tout migrer proprement, d’incuber, de faire des plans de développement, de ne pas sortir à toute vitesse une version) est franchement plus rassurante pour la productivité des professionnels et les particuliers. Pour l’instant LibreOffice propose de petites améliorations d’ergonomie (mais une grande partie semble comprise dans la future 3.4 ou dans les options ce cette future 3.4).

    De plus, la suite LibreOffice ne semble pas significativement plus rapide que Apache OpenOffice 3.4 à venir (d’après des tests sur une beta), au contraire !

    Enfin, le rythme infernal de LibreOffice ne favorise vraiment pas la sérénité (comment, quelques semaines après sa publication, je ne peux déjà plus télécharger la version 3.3 alors que c’est la plus stable sur mon système et que les autres incorporent des fonctionnalités qui ne marchent pas sur mon système – ?!?). De même que les petites phrases qui émanent effectivement de l’équipe LibreOffice. Tout ceci crée en moi un manque de confiance dans l’équipe LibreOffice dans leur capacité à assurer, calmement, la productivité de leurs utilisateurs sur le long terme.

    Vite ! Que OpenOffice rentre à nouveau dans la course !

  2. Rocky dit :

    Ce genre de comportement puéril est exactement ce qui fait que les logiciels libres ont du mal à être pris au sérieux chez certains utilisateurs professionnels. On assiste ici à une guerre de geeks qui au lieu de faire progresser OpenOffice dans une même direction divisent eux-même la communauté en créant ce fork LibreOffice. Les deux projets partent dans des directions différentes… Cela renforce encore l’idée de développement chaotique qui entoure de nombreux logiciels libres.

    Je n’ai jamais téléchargé LibreOffice, je ne l’ai jamais recommandé à personne dans mon entourage, j’estime qu’il ne doit y avoir qu’un seul projet. Par exemple, il n’y a pas deux versions de Microsoft Office qui partent chacune dans une direction différentes. Pourquoi est-ce le cas ici? Que les développeurs de LibreOffice s’unissent avec Apache Foundation pour développer une suite bureautique pouvant vraiment faire face à Microsoft Office.

  3. Olivier R. dit :

    @Rocky

    Ton commentaire témoigne d’une ignorance des événements.

    En 2010, une partie de la communauté d’OpenOffice.org décide de forker le projet par désaccord avec la politique d’Oracle qui a racheté Sun Microsystems. Cette communauté fonde The Document Foundation et crée LibreOffice. Ce fork a été préparé par quelques-uns à l’insu de presque toute la communauté.

    A la mi-2011, OpenOffice.org est presque mort, la majeure partie de la communauté ayant rejoint TDF, et Oracle décide de donner le code et le nom à la fondation Apache, qui crée donc Apache OpenOffice. (D’après les rumeurs, il semblerait qu’IBM ait poussé pour cette libération du code…). Ceux qui n’étaient pas contents du fork LibreOffice se sont donc plutôt ralliés à ce nouveau mouvement.

    Il y a donc deux nouvelles branches issues de l’ancienne, mais chacune prêche une philosophie du libre très différente. La scission est donc accomplie et ne se résoudra à coups de « y a qu’à, faut qu’on », et les développeurs de LibreOffice n’ont pas vraiment de raison de vouloir rejoindre un nouveau projet né après le leur.

    S’ajoute à cela bon nombre de contributeurs qui se moquent de ces manœuvres politiciennes et qui ne peuvent que constater la division.

    Des reproches, on peut en adresser à tout le monde :
    - TDF a créé son fork dans le secret et a créé la surprise avec une annonce tonitruante (manœuvre réussie, ils ont su séduire beaucoup de monde, OOo allait mourir) ;
    - Oracle a donné OOo à la fondation Apache pour semer la pagaille (manœuvre réussie, la fondation Apache a su attirer pas mal de gens mécontents de TDF, OOo est en cours de résurrection) ;
    - La Fondation Apache, nouvelle propriétaire d’OOo (soutenue par IBM qui veut apparemment orienter le développement du produit selon sa vision), s’est comportée en cheftaine avec nombre d’anciens contributeurs, se figurant apparemment que, puisqu’on lui donnait le code et la marque, on lui donnait aussi la propriété de la communauté, qui fut priée de ployer le genou devant la Apache way, leurs règles, leur philosophie, etc.

    Autrement dit, si la communauté est divisée, ce n’est pas pour le plaisir de se diviser, mais parce que quelques personnes ont pris des décisions qui ont mis tout le monde devant le fait accompli et la nécessité de choisir un parti.

    Personnellement, je n’aime pas la communication de la Document Foundation (qui a toujours tendance à enjoliver les faits), mais je n’ai strictement rien à foutre de la philosophie et la manière de faire de la fondation Apache, qui n’a à mes yeux aucune légitimité pour donner le « la » à la communauté d’OpenOffice.org.

    Au final, abstraction faite de toutes ces divergences, il faut choisir entre deux visions du logiciel libre, celle de la Document Foundation et celle d’Apache. Les licences divergent drastiquement, et, à ma connaissance, il n’y a aucun moyen de réconcilier les deux points de vue. C’est l’un ou l’autre.

    Pour l’instant, malgré la tendance propagandiste de TDF, ils ont tout de même bien plus d’avance que Apache, et on ne peut nier qu’ils ont su attirer bien plus de monde de leur côté. Par ailleurs, les lourdes rénovations en cours laisse présumer que le logiciel va connaître une bien meilleure forme d’ici quelques années. Quant à Apache OpenOffice, on ne sait pas encore ce que ça va devenir.

  4. Rocky dit :

    J’ai un peu suivi les événements justement, il est vrai que créer un fork lors du rachat par Oracle était une manœuvre bien pensée pour garantir la continuité libre d’OpenOffice (beaucoup ont cru qu’Oracle reprendrait OpenOffice pour en faire une solution propriétaire petit à petit).

    Je me place ici en tant qu’utilisateur qui chercherait un logiciel de bureautique, avoir deux solutions qui partent dans des directions différentes, voilà de quoi semer la confusion. Je trouvais un peu ridicule que LibreOffice lance des piques à OpenOffice et vice versa, surtout que le projet semble redémarrer. La peur est peut être bien là : voir Apache regagner du terrain avec OpenOffice et le public se détourner à nouveau.

  5. William dit :

    J’approuve le propos de Rocky. je ne suis pas développeur : juste utilisateur et militant du logiciel libre. Même si ce militantisme doit passer par une certaine connaissance des arcanes et avatars des communautés de développeurs, des forks, etc, je dois dire qu’en tant qu’utilisateur, ça me fatigue beaucoup.
    Et quand j’explique à quelqu’un qui pirate MS Office qu’il ferait beaucoup mieux d’utiliser une suite libre, je lui recommande quoi ? Ooo ou Libre O ?

    Voilà t-y pas qu’on apprends que Apache agacerait certains de ses contributeurs, avec probablement IBM en sous-mains… Un futur fork de plus ?

    Maintenant, peut-être la profusion de l’offre est-elle saine ? Mais j’en doute un peu.

  6. Olivier R. dit :

    @ William :

    Pour l’instant, le choix est vite fait, puisqu’il n’y a pas encore de version stable d’Apache OpenOffice.
    De toute façon, il est probable que les deux logiciels divergent grandement à l’avenir, IBM prévoyant d’implémenter l’interface de Symphony dans AOO, et TDF prévoyant de remanier complètement l’API du logiciel, suite à un nettoyage en profondeur du code (travail en cours).

    Nul ne sait s’il y aura assez de monde pour soutenir l’effort pour deux logiciels aussi importants. L’un va peut-être stagner ou mourir, on ne sait pas. Ce n’est pas pour rien que chacun des partis veut attirer l’ancienne communauté vers lui. C’est un élément stratégique du développement. On peut le regretter, mais on n’y peut pas grand-chose, la réconciliation étant apparemment difficile.

  7. William dit :

    je comprends. C’est bien dommage, mais ça semble assez incontournable, surtout avec des trucs aussi gros. Il n’y a qu’à connaître un peu le monde associatif pour savoir que ce genre de choses est un classique.

    Qui va tirer son épingle du jeu, au final ? Google Docs ?